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Younès, ingénieur et docteur en intelligence artificielle

Il a développé trois algorithmes permettant de prédire la survenue de la mort subite de l’adulte par arrêt cardiaque. Ingénieur diplômé de l’ENSAI en 2019, Younès Youssfi est docteur en intelligence artificielle. Retour sur un parcours unique, dans lequel la science des données est au service de la santé.   

La thèse de Younès Youssfi, “Prédiction de la Mort Subite de l’Adulte et Identification des Facteurs de Risque Associés grâce au Machine Learning”, co-dirigée par Nicolas Chopin et le Pr. Xavier Jouven, a été soutenue en septembre 2023 à l ‘Institut polytechnique de Paris, dans le cadre de l’École doctorale de mathématiques Hadamard, en partenariat avec le CREST, le Centre de Recherche Cardiovasculaire et l’ENSAE 

Younès, tu as soutenu ta thèse il y a quelques semaines : peux-tu présenter tes travaux ?

Younès Youssfi : Ma thèse avait pour sujet la prédiction de la mort subite de l’adulte, qui désigne l’ensemble des arrêts cardiaques survenant sans cause extra-cardiaque évidente. Cette pathologie affecte entre 30 000 et 40 000 personnes par an en France, et environ 300 000 personnes par an en Europe. Malheureusement, les chances de survie sont très faibles, avec moins de 10% de survie dans plusieurs études récentes. De nombreuses tentatives ont été faites pour améliorer la prise en charge des victimes, mais les résultats en termes de survie n’ont pas été très encourageants.

Dans ce contexte, mon objectif de recherche était de développer un algorithme basé sur l’apprentissage automatique (machine learning) permettant de prédire la survenue de la mort subite en population générale.

Pour y arriver, j’ai analysé l’historique médical de plus de 350 000 individus, afin d’identifier des signaux faibles prédictifs de la mort subite. Mes travaux ont également permis de proposer une nouvelle classification de mort subite, jusqu’à présent essentiellement centrée sur des facteurs cardiovasculaires. Cette approche plus globale nous a offert de nouvelles perspectives pour mieux comprendre et prédire la mort subite chez les adultes. 

Ta thèse a été co-encadrée par le Professeur Jouven, dont les travaux alliant médecine et statistique ont été pionniers. Quelles sont les ambitions de son équipe en matière de prévention de la mort subite et en quoi l’intelligence artificielle y joue un rôle central ?

L’ambition du Pr. Xavier Jouven, au sein du Centre d’Expertise de la Mort Subite qu’il a fondé en 2011 à l’Hôpital Européen Georges Pompidou, est de développer un algorithme novateur permettant de prédire avec précision la survenue de la mort subite de l’adulte en population générale. Ces travaux permettraient d’identifier les individus à plus haut risque, et de mettre en place des approches préventives individualisées pour chaque patient.

L’intelligence artificielle joue un rôle central dans ce projet, car elle permet d’intégrer un large éventail de facteurs de risque, tant cardiovasculaires que non cardiovasculaires, qui n’étaient pas pris en compte par les scores de risque développés jusqu’à présent. L’ambition de ce projet repose également sur l’exploitation des données médico-administratives de l’Assurance Maladie (le Système National des Données de Santé), une base de données unique au monde. Cette ressource exceptionnelle nous permet d’analyser de manière exhaustive l’ensemble des événements médicaux survenus avant la mort subite.  

Maintenant docteur, à quoi te consacres-tu ?

Je travaille désormais dans une start-up, Resilience Care, qui propose des solutions de télésurveillance médicale pour des patients atteints de cancer. En parallèle de cela, je poursuis différents projets de recherche. Je reste notamment membre affilié du CREST, où je continue de travailler sur des projets à l’intersection entre statistique et santé.

Revenons un peu sur ton parcours. Après quel cursus as-tu rejoint l’ENSAI ?

J’ai intégré l’ENSAI en 2015 après une classe préparatoire aux grandes écoles ENS Cachan D2. Mon choix d’intégrer cette école était motivé par de nombreuses raisons, en particulier la perspective de devenir ingénieur data scientist. L’ENSAI est reconnue pour son excellence dans l’enseignement des statistiques, des mathématiques et de l’informatique. J’étais convaincu que ces compétences m’ouvriraient les portes de diverses carrières et domaines d’expertise, ce qui était un objectif important pour moi, car je voulais explorer différentes opportunités professionnelles.

L’école se démarque également par son fort engagement envers l’employabilité de ses étudiants. Elle propose un environnement d’apprentissage dynamique et stimulant, tout en entretenant des relations étroites avec l’industrie. Les programmes de stages et de coopération avec des entreprises m’ont offert l’occasion de mettre en pratique mes compétences et de développer un réseau professionnel précieux dès mes années d’études. 

Je retiens de mon passage à l’ENSAI des cours de grande qualité. Mais aussi et surtout des enseignants toujours à notre écoute, disponibles pour m’écouter et me conseiller, et qui m’ont orienté au mieux pour construire notre parcours académique et professionnel. Je souhaite d’ailleurs remercier tout particulièrement Salima El Kolei, qui m’a permis de rencontrer Nicolas Chopin à l’ENSAE et de me lancer dans cette thèse. 

Quel a été ton parcours depuis ta diplômation ? Autrement dit, qu’est-ce qui pousse un jeune ingénieur à opter pour une thèse ?

Dès mon arrivée à l’ENSAI, j’avais l’objectif de poursuivre dans la recherche, mais je ne savais pas trop dans quel domaine. J’ai pu me construire un parcours sur-mesure à l’ENSAI, en étant accompagné et conseillé par les enseignants. J’ai choisi d’effectuer une année de césure après ma deuxième année, afin de découvrir des domaines différents que je ne connaissais pas, d’abord dans le marketing prédictif, puis dans la finance aux Etats-Unis. C’est également à ce moment-là que j’ai commencé à collaborer avec un médecin réanimateur sur le sujet de l’arrêt cardiaque.

Ce projet m’a passionné, et m’a convaincu de continuer dans ce domaine à la sortie de l’école. Au retour de ma césure, j’ai suivi la spécialisation de 3e année Data Science & Génie Statistique. J’ai effectué mon stage de fin d’étude au sein du groupe Valeo, afin d’avoir une première expérience dans un grand groupe industriel. Juste après ce stage, j’ai débuté mon doctorat au Centre de Recherche Cardiovasculaire de Paris et au CREST. 

Quels seraient tes conseils à un(e) futur(e) ingénieur(e) de l’ENSAI qui hésite encore à poursuivre en doctorat ou qui pense même que la recherche n’est pas faite pour elle/lui ?

Je lui dirais surtout d’être curieux, d’aller discuter avec les chercheurs dans les domaines qui l’intéressent et de ne se fermer aucune porte. Je lui conseillerais également de bien réfléchir en amont à ce qu’il souhaite faire après la thèse (se lancer dans une carrière d’enseignant – chercheur, travailler dans le privé …). 

Merci Younès !