« Le président Trump a promis pendant sa campagne électorale de protéger l’Amérique grâce à une forte augmentation des droits de douane, pour lutter contre « l’invasion » de produits étrangers, notamment chinois. Une telle démarche est parée de bien des vertus, censée tout à la fois réduire le déficit commercial, restaurer l’emploi industriel aux États-Unis, et, grâce aux sommes collectées, diminuer d’autres taxes. Mais ces objectifs semblent être davantage des mirages que des réalités, comme l’illustrent nos travaux sur les dynamiques économiques induites par les guerres commerciales.
[Tribune] « Protectionnisme : les Américains vont vite déchanter »
Par Stéphane Auray, CREST-ENSAI, Rennes School of Business et OFCE, et Aurélien Eyquem, Université de Lausanne. Une tribune initialement publié dans la Tribune, en date du 24 janvier 2025.
Les mesures prises en 2018 par le précédent gouvernement Trump ont montré que les hausses des droits de douane, décidées à l’époque, se répercutaient directement sur les prix. Elles ont entraîné alors une baisse des échanges des États-Unis, mais aussi une augmentation sensible des prix pour les consommateurs américains et la perte d’accès à des produits clés.
Ces mesures ont constitué un fardeau pour les ménages, en particulier à faible revenu. Elles ont aussi accru les coûts de l’industrie américaine et réduit sa compétitivité. Nos recherches montrent que de telles hausses des prix peuvent être tempérées par une politique monétaire adaptée, mais, que sans coopération entre le gouvernement et la banque centrale, la situation peut s’enflammer. Les États-Unis ne sont pas à l’abri d’un retour de l’inflation.
Face à la concurrence chinoise, les barrières douanières ne sont pas non plus la panacée. Lors du précédent mandat Trump, de nombreuses entreprises chinoises ont contourné les obstacles tarifaires en délocalisant leur production. Une société comme Man Wah emploie ainsi aujourd’hui 450 personnes au Mexique, illustrant l’incapacité des taxes différenciées à contenir des flux commerciaux pilotés par la Chine. Ces mesures provoquent surtout une réorganisation des chaînes d’approvisionnement.
Le déficit commercial lui-même, que dénonce l’administration Trump, et qu’elle prétend vouloir combler, mérite également d’être mis en perspective. Ce déficit n’est pas uniquement le résultat d’échanges commerciaux déséquilibrés. La perception des obligations américaines comme valeur refuge, l’attrait des investissements outre-Atlantique, rendent inefficaces les efforts pour le réduire, car ils permettent aux entreprises américaines d’acheter sans effort plus qu’elles ne produisent. Vouloir réduire le déficit commercial sans prendre en compte cet aspect de la question est illusoire.
L’idée selon laquelle les droits de douane pourraient permettre aux États-Unis de créer de nouveaux emplois industriels, à l’abri de la concurrence internationale, n’est enfin pas plus convaincante.
C’est ignorer des tendances structurelles majeures, telles que l’automatisation à l’œuvre depuis plusieurs décennies, qui a érodé le pouvoir d’achat des classes moyennes américaines et amplifié les inégalités. Les promesses de Trump de ramener une ère industrielle prospère sont d’autant moins crédibles que les usines les plus récentes sont parmi les plus automatisées. Elles ne recréeront pas les emplois industriels perdus lors des décennies passées.
L’augmentation des droits de douane prévue par l’administration Trump est donc inefficace, voire nuisible pour les consommateurs et l’économie américaine dans son ensemble. Plutôt que de s’enfermer dans cette logique protectionniste, les États-Unis gagneraient à renouer avec les anciens accords commerciaux et à investir dans de nouvelles politiques de soutien à l’innovation et à la formation, plus à même de restaurer leur compétitivité tout en réduisant les inégalités croissantes qui fragilisent la cohésion du pays. »
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(1) Trade Wars, Nominal Rigidities and Monetary Policy, Stéphane Auray, Aurélien Eyquem, Michael Devereux ; The Review of Economic Studies, 2024
(2) Trade Wars and the Optimal Design of Monetary Rules, Stéphane Auray, A. Eyquem , M. Devereux, Journal of Monetary Economics, 2024
(3) Robots and Jobs: Evidence from US Labor Markets, Daron Acemoglu, Pascual Restrepo ; Journal of Political Economy, 2020