Modélisation statistique des vagues et courants : le stage de Paul-Adrien à l’Ifremer
Ingénieur diplômé de l’ENSAI en 2024, Paul-Adrien Alves a réalisé son stage de fin d’études au sein du laboratoire d’hydrodynamique marine de l’Ifremer, pour le compte d’un laboratoire commun à l’Ifremer et au constructeur d’hydroliennes HydroQuest, appelé Verti-Lab. Sa mission durant 6 mois : modéliser les vagues extrêmes dans la zone de la future ferme pilote hydrolienne du Raz Blanchard, située au large des côtes du Cap de la Hague.
Au terme de son stage, Paul-Adrien Alves a poursuivi ses travaux à l’Ifremer, dans le cadre d’une thèse de doctorat intitulée « Conditions environnementales extrêmes en mer : application au Raz Blanchard », sous la direction de Nicolas Raillard et de Guillaume Charria. Interview.
Avant toute chose, peux-tu présenter l’Ifremer et ses missions ?
Paul-Adrien Alves : L’Ifremer est un EPIC (Etablissement Public à caractère Industriel et Commercial), qui a notamment pour missions :
– d’accroître la somme des connaissances scientifiques concernant les océans. La flotte océanographique française parcourt le monde et collecte des données océanographiques en tout genre : relevés de profondeur des fonds marins, prélèvement d’échantillons, courantométrie, etc.
– d’accompagner des projets d’entreprise en apportant une expertise sur plusieurs sujets, par exemple dans le cadre du concours d’innovation Octo’Pousse. Je pense par exemple à MWI (Marine Weather Intelligence), une startup lancée après avoir remporté ce concours en 2023. Elle propose désormais des services de routage autant pour les navires marchands que pour les participants aux régates en mer en intégrant des approches d’apprentissage automatique dans leurs prévisions et alertes météorologiques. Dernièrement, MWI a été sollicitée lors du Vendée Globe.
– peaufiner les systèmes de prévision de l’évolution des milieux marins et côtiers, par exemple via le modèle MARC (Modélisation et Analyse pour la Recherche Côtière).
Tes travaux, en stage et en thèse, participent au projet de ferme hydrolienne au Raz Blanchard : peux-tu nous en dire davantage ?
La ferme pilote du Raz Blanchard comptera 7 hydroliennes, localisées entre la pointe nord-ouest de la péninsule du Cotentin et l’île anglo-normande d’Aurigny. Les hydroliennes exploitent l’énergie cinétique des courants, qui constitue une source d’énergie presque 100% prédictible et entièrement décarbonée. Elles seront immergées à 3 km des côtes, à 30-35 mètres de profondeur. La ferme doit avoir une puissance totale de 17,5 MW, ce qui correspond à la production annuelle nécessaire pour 20 000 habitants.
Venons-en maintenant à ton stage. Sur quoi as-tu travaillé précisément ?
L’intitulé précis de mon stage de 3e année était : « Modélisation statistique des extrêmes joints vagues-courants ». Mon maître de stage, et désormais directeur de thèse, était Nicolas Raillard, chercheur en statistique pour l’océano-météorologie à l’Ifremer, au laboratoire d’hydrodynamique marine. Il est aussi diplômé de l’ENSAI, promotion 2008.
Ma mission avait pour but de caractériser les événements extrêmes en mer, et en particulier les hauteurs de vagues extrêmes. En se propageant, les vagues déplacent légèrement les molécules d’eau sur leur passage et modifient l’intensité des courants. Or le Raz Blanchard est un lieu où les courants sont naturellement déjà très rapides. Ainsi, le problème tient au fait que les vagues extrêmes pourraient intensifier davantage ce courant et mettre l’hydrolienne en péril car les forces exercées par le courant sur l’hydrolienne seraient trop fortes. L’hydrolienne étant prévue pour avoir une durée de vie d’au moins 50 ans, il est crucial d’estimer correctement les forces auxquelles elle sera soumise la plupart du temps ainsi qu’en conditions extrêmes afin de la dimensionner en conséquence.
D’un point de vue pratique, quels outils et méthodes as-tu mobilisés ?
En premier lieu, j’ai été initié à l’océanographie physique par les membres de mon laboratoire. J’ai étudié et appliqué des méthodes telles que la régression quantile et celles issues de la théorie des valeurs extrêmes (modélisation des maximums par blocs avec la loi GEV) et des dépassements de seuil avec la loi de Pareto généralisée pour calculer des valeurs de retour, c’est-à-dire la probabilité de survenue d’un événement extrême au cours des M prochaines années.
Par exemple, une valeur de retour à 100 ans de 8 mètres signifie que l’événement « hauteur de vague supérieure ou égale à 8m » se produit en moyenne une fois tous les 100 ans. Afin de modéliser l’effet de variables telles que le courant et la période des vagues sur la hauteur des vagues extrêmes, j’ai régulièrement utilisé des modèles additifs généralisés, qui permettent de capter des relations non linéaires entre variables, principalement en utilisant des bases de splines (fonctions polynomiales par morceaux).
J’ai travaillé sur une base de données publique de rejeux d’états de mer (sortie de modèles numériques physiques enrichis par l’intégration d’observations passées) appelée Resourcecode. Cette base contient 27 ans de données (1994-2020) concernant de nombreux lieux de l’Europe de l’Ouest, à laquelle on peut accéder en installant les librairies R ‘resourcecode’ et ‘resourcecodedata’.
De quelle façon le laboratoire va-t-il exploiter les résultats de tes travaux ?
HydroQuest se servira de valeurs de retour ou de valeurs de variables dans des états de mer agités récurrents pour calculer le « load assessment », c’est-à-dire l’ensemble des charges appliquées à la machine qui sert à son dimensionnement. Le load assessment permet d’estimer dans quelle mesure la machine risque d’être endommagée voire détruite.
Un « état de mer » décrit les régimes de vagues à un moment donné, de l’ordre de plusieurs heures à quelques jours. On le caractérise à l’aide de la vitesse et la direction du vent et des courants, la période des vagues, etc. Un état de mer commun est celui composé d’une « mer du vent », lorsque le vent souffle activement, générant des vagues de périodes courtes (< 5s) et de hauteur variable et d’une houle, c’est-à-dire des vagues venant de plus loin qui n’ont pas été générées par le vent local, pour lesquelles la période est généralement plus longue.
Quel bilan académique et personnel tires-tu de ce stage de fin d’études ?
J’ai beaucoup appris du stage, que ce soit du point de vue statistique (théorie des valeurs extrêmes, modèles de régression, statistique inférentielle…), sciences de l’environnement (océanographie, modèles numériques, représentations spectrales…) ou fiabilité des structures (load assessment et contours environnementaux). Au niveau soft skills, j’ai eu un bon nombre de présentations à donner donc j’ai pu gagner en aisance orale. J’ai aussi appris peu à peu à mettre en adéquation mes visualisations avec les besoins industriels.
En fin de compte, le stage m’a tellement plu que j’ai décidé de poursuivre en thèse, sur le même sujet, car la littérature scientifique sur les extrêmes aussi bien que sur les vagues est très riche !
En quoi ta thèse est-elle un approfondissement du stage ?
Ma thèse s’intitule « Conditions environnementales extrêmes en mer : application au Raz Blanchard » sous la direction de Nicolas Raillard et de Guillaume Charria, spécialiste de l’océanographie côtière, basé au Laboratoire d’Océanographie Physique et Spatiale de l’Ifremer.
Je poursuis avec les méthodes utilisées pendant le stage, en allant plus loin dans les estimations et la connaissance de la mer.
Je vais m’intéresser particulièrement aux spectres de vagues : les vagues sont des ondes et leur énergie est répartie selon différentes fréquences que l’on peut identifier grâce aux techniques de traitement du signal telles que la transformée de Fourier.
Il existe des modèles physiques permettant de construire ces spectres de façon beaucoup plus complexe et détaillée tel que le modèle spectral de vagues WAVEWATCH-III, très utilisé par Météo-France par exemple pour la vigilance “vagues et submersion”. Il est possible de se servir de cette représentation pour affiner les estimations car on définit ainsi mieux l’état de mer.
Pour finir, revenons-un peu sur ton parcours avant l’ENSAI et tes années en tant qu’élève-ingénieur.
Après le baccalauréat, j’ai intégré une classe préparatoire ECS à Rouen afin de poursuivre une formation généraliste alliant mathématiques et humanités. Je n’étais cependant pas enchanté par la perspective d’intégrer une école de commerce. Je me suis donc réorienté, un peu au hasard à vrai dire, directement en deuxième année de DUT Statistique et informatique décisionnelle, à l’IUT de Lisieux. J’ai pris rapidement goût aux statistiques grâce aux cours de tests statistiques d’un enseignant passionné.
Pour tout étudiant de DUT STID, BUT Science des données désormais, l’ENSAI est la meilleure école étant donné sa spécialisation très claire dans le domaine des statistiques. C’est dans l’optique de poursuivre dans cette voie que j’y ai candidaté.
En troisième année de cursus ingénieur, j’ai choisi la spécialisation Biostatistique car mes stages de première et deuxième année, réalisés dans ce domaine, m’avaient bien plu. J’ai choisi de faire mon stage de fin d’études au sein de l’Ifremer afin d’appliquer mes connaissances aux sciences de l’environnement, et décider ensuite si j’allais poursuivre dans cette voie ou poursuivre dans le domaine des statistiques appliquées à la santé. La présentation de Sébastien Da Veiga sur les possibilités offertes par la recherche en France (Ifremer, IRD, ASNR, BRGM, Inrae, etc.) fin 2023 m’a conforté dans le choix d’un stage appliqué aux sciences de l’environnement.
Merci, Paul-Adrien !
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