Jérémy Cheradame, Data Scientist à la Fédération Française de Rugby
ENSAI promo 2017, Jérémy Cheradame est doctorant Cifre à la Fédération Française de Rugby. Il y occupe par ailleurs les fonctions de Data Scientist. Dans le monde du sport français, la Data Science appliquée au suivi des exigences physiques et à l’analyse de la performance est en plein essor.
En quoi la Data Science peut-elle être utile aux sportifs et à leurs clubs ? Le point avec un diplômé de l’ENSAI qui a atteint son objectif professionnel : celui d’allier statistiques et sport.
Comment devenir Data Scientist à la FFR
Après avoir validé une première année de STAPS au Mans, Jérémy Cheradame a obtenu un DUT STID à Lisieux. Il a intégré l’ENSAI sur titres, en cursus ingénieur, avec l’objectif de mettre ses compétences en Data Science au service du sport.
“Je savais que le métier de Data Scientist dans une structure sportive existait à l’étranger, mais au moment de chercher un stage de deuxième année, j’ai pris conscience du fait qu’en France, ce genre de fonction n’existait pas encore ! Avec un concours de circonstances, j’ai réussi à entrer à la FFR en tant que stagiaire et par la suite d’y créer mon poste actuel”.
Rattaché à l’ISPED (Institut de santé publique, d’épidémiologie et de développement) et à l’ENSAM (Ecole Nationale Supérieure des Arts et Métiers), Jérémy Cheradame rédige une thèse de biostatistique sur l’identification des risques de blessures chez les rugbymans.
Identifier et prévenir les risques de blessures chez les rugbymans
Le travail de recherche de Jérémy Cheradame vise à comprendre comment surviennent les différents types de blessures, et à trouver des règles de prévention en liant charge de travail et risques de blessures.
Depuis deux ans, l’action de l’Observatoire Médical du Rugby, géré conjointement par France Rugby et la Ligue Nationale de Rugby, s’est intensifiée. Afin de limiter les blessures, notamment les commotions cérébrales, il faut avant tout mieux les comprendre.
Dans le rugby, il convient de distinguer les blessures musculaires, les plus prévisibles, des commotions cérébrales.
“Ce que je démontre dans mon travail de recherche, c’est que les règles appliquées pour limiter ces différents types de blessures ne sont pas les mêmes. Pour limiter les blessures musculaires, il faut limiter la charge de travail. A l’inverse, un joueur a moins de risque de souffrir d’une commotion cérébrale à travers l’habitude de jeu et l’entrainement au contact”.
Data Science et sport : quelles applications ?
A la FFR et dans le domaine du sport de manière générale, la Data Science compte deux champs d’application principaux : le suivi des exigences physiques et l’analyse de la performance.
Dans le cadre des exigences physiques, il peut s’agir par exemple de qualifier au mieux quelles vont être les exigences d’un joueur du point de vue de la préparation physique, à l’aide des données GPS. La data permet de suivre la charge de travail du joueur pour essayer de limiter les blessures et pour sélectionner des joueurs au meilleur de leur forme au moment des matches.
“Nous avons maintenant accès à un grand nombre de données riches pour l’analyse de performance, qu’elle soit technique ou tactique”. C’est sur ce point précis que les clubs et les fédérations ont besoin de compétences en Data Science, pour pouvoir extraire des informations utiles de ces ensembles de données.
Data Scientist à la Fédération Française de Rugby : les missions au quotidien
En parallèle de son doctorat, Jérémy Cheradame est en charge de missions liées à la prédiction des blessures, à l’analyse et au suivi des exigences physiques, mais aussi à l’analyse de la performance des joueurs internationaux. Il est mobilisé sur l’analyse du jeu à travers des comptes-rendus de compétitions ou des analyses plus ponctuelles sur des phases de jeu particulières. En outre, il exerce les fonctions de sport scientist auprès de l’équipe de France des moins de 20 ans développement.
Il est responsable de l’analyse des licenciés pour déterminer leur profil et l’évolution des effectifs. Enfin, une activité d’accompagnement scientifique l’amène à encadrer des étudiants stagiaires et des doctorants à la FFR.
Ses missions l’amènent à collaborer avec un ensemble de professionnels très riche et varié au sein de la FFR.
“Je suis rattaché au département Accompagnement de la performance. Nous sommes une cellule de soutien transverse aux équipes (masculine, féminine, à 15 ou à 7, les jeunes, etc.). Nous leur donnons des clés pour les accompagner dans leur processus de performance.”
Dans ce cadre, Jérémy Cheradame travaille avec des sport scientists : des personnes issues d’un cursus STAPS, généralement en charge des données GPS et des processus d’optimisation des qualités physiques des joueurs via des compétences scientifiques. Les préparateurs physiques, les analystes de performance, les coachs… l’ensemble du staff de la FFR peut être amené à travailler de concert avec le département Accompagnement de la performance.
Quelles perspectives pour la Data Science dans le domaine du sport ?
Les données exploitées actuellement sont très riches, d’autres sont encore soumises à des restrictions, liées au respect de la vie privée pour les données médicales, ou encore en raison de contraintes techniques ou politiques entre les clubs.
N’y aurait-il pas un risque que la Data Science fasse perdre la part de spontanéité propre au sport ? Non, assure Jérémy Cheradame pour lequel les statistiques aident à la décision via les meilleures analyses possibles.
“Il y aura toujours une part d’aléatoire, énormément de facteurs qui viendront contredire les stats, même avec les modèles les plus pertinents ! Le sport restera toujours le sport, il n’y a aucune inquiétude à se faire à ce sujet. ”
Développer la Data Science plus largement dans le sport français serait déjà un grand pas, estime le Data Scientist : il s’agirait de mettre en place de vraies cellules de Data Science au service de la performance dans un grand nombre de clubs et de fédérations.
Jérémy Cheradame conseille aux futurs Data Scientists de l’ENSAI de contacter les clubs spontanément, dans le cadre de stages ou d’un premier emploi, les offres étant encore très rares. Les clubs prennent progressivement conscience de l’intérêt de mobiliser des compétences en Data Science.
Data Science et sport sont au cœur d’une saine émulation scientifique, à travers les actions du groupe Statistique et Sport au sein de la Société Française de Statistique ou encore la création de l’école universitaire de recherche Digisport, dont l’ENSAI est partenaire.
Du 3 au 5 mars 2021, l’ENSAI accueillera d’ailleurs un événement entièrement dédié à cette thématique. Au programme, un Data Challenge étudiant en partenariat avec la FFR, un séminaire du groupe Statistique et Sport de la SFdS ainsi qu’une belle surprise… sportive bien sûr.